Critique de "The Substance" de Coralie Fargeat
- antonelli gonzalo
- 9 juin
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 13 juin
Second long-métrage de Coralie Fargeat, "The substance" est un film viscéral dans le sens strict et bluffant pour de nombreuses raisons. Il fait partie de ces œuvres rares qui marquent par leur audace et leur inventivité.
C'est également un film qui interpelle aussi bien pour ses partis pris esthétiques que pour sa vision critique du star system. Une vision fascinante et dérangeante à la fois.
Le point de départ est assez banal... Elisabeth Sparkle (Demi Moore) une actrice de 50 ans dont la notoriété est un lointain souvenir anime maintenant une émission de fitness à la télévision. Son patron, Harvey, un directeur de production sans scrupules (Dennis Quaid répugnant à souhait), veut du sang neuf et licencie Elisabeth sans ménagement
Pour Elisabeth, rien ne va plus. Comme beaucoup de ses congénères elle est prête à tout pour ne pas vieillir.
Un accident de voiture plus tard, on lui propose discrètement une clé USB qui contiendrait la solution à tous ses problèmes...
La curiosité d'Élisabeth va faire le reste...
La substance proposée est en fait un élixir de jouvence dont il faut respecter à la lettre les instructions car sinon...
Et les choses ne vont pas se passer comme prévu... Évidemment.
Le scénario, centré sur le concept d’une mystérieuse substance capable de créer une version "idéale" de soi-même, sert de point de départ à une réflexion implacable sur l’identité, l’image, la célébrité, et le culte du corps tout en étant également une introspection féminine virtuose. Le body horror n'est que l'emballage ... Mais quel emballage !
Réalisé avec une maîtrise saisissante, le film affiche de manière décomplexée ses références et le moins que l'on puisse dire, c'est que Coralie Fargeat est une très grande cinéphile.
Le cinéma de genre est un exercice cinématographique codifié avec des règles bien établies et un cahier des charges précis.
Coralie Fargeat s'en acquitte de manière magistrale tout en rendant hommage à ses prédécesseurs en matière de film d'horreur. Les parallèles les plus évidents étant bien entendu les cinémas de Carpenter, Kubrick et surtout Cronenberg avec qui elle forge un lien quasi filial.
On retrouve beaucoup du cinéma de John Carpenter, notamment dans son approche visuelle, son exploration des thèmes de l’identité et du mystère, ainsi que dans sa capacité à créer une atmosphère immersive et tendue.
Dans ses films, Carpenter s'interroge sur la perception de l'autre et son rejet en les confrontant à nos peurs les plus profondes ("Halloween", "The Thing") et en y insérant un aspect volontairement politique ("New York 1997", "Invasion Los Angeles"). Il les replace dans un contexte et une époque dans lesquels il évolue : l'Amérique reagannienne des années 80 qui s'imagine triomphante mais qui en réalité est une société qui sort de la désillusion du Vietnam et qui rentre pleine d'interrogation dans les années SIDA...
Le film de Coralie Fargeat s'inscrit aussi parfaitement dans son époque : la dictature du corps parfait par les réseaux sociaux, les années Post COVID et la paranoïa ambiante qui en a découlé.
On retrouve aussi dans le film de multiples références au cinéma de Kubrick à travers l'esthétique aseptisée des lieux beaucoup trop parfaite ("2001"), ou encore les couloirs et corridors rectilignes en passant par la moquette orange avec les motifs géométriques évoquant furieusement l'Overlook Hotel de "Shining"; la décomposition finale n'est pas non plus sans rappeler le corps flétri de la vieille dame de la chambre 237 du même film.
Mais la filiation la plus prégnante que l'on retrouve aussi bien dans l'esthétique que dans la thématique, c'est avec le cinéma de Cronenberg.
Chez le réalisateur canadien, le corps est le sujet de métamorphoses physiques, on y perçoit une fusion entre l’organique et le technologique, et les perturbations corporelles comme reflet de conflits psychologiques ou sociaux. Des films comme ''Videodrome'', ''La Mouche'', "Existenz" ou ''Crash'' illustrent cette obsession pour le corps en mutation, la douleur et la transgression des limites humaines.
"The Substance'' évoque directement l’imagerie corporelle caractéristique de Cronenberg, où le corps devient un terrain d’expérimentation et de révélation.
Le contexte est là encore très important. "La Mouche" n'était il pas le premier film à évoquer clairement l'épidémie de SIDA et ses peurs inhérentes ?
Le corps et sa dégénérescence sont le centre d'intérêt de Cronenberg tout au long de son œuvre. Ici le corps est glorifié, adulé avant d'être maltraité, malmené.
Son utilisation métaphorique (et ses métamorphoses ) comme objet de nos peurs primaires et de notre quête d'identité est une constante chez les deux cinéastes. Cela confère à leurs films une résonance particulière.
L'interprétation n'est pas étrangère à la réussite du film.
Demi Moore intérprete une Elisabeth Sparkle avec une vérité saisissante.
Et Margaret Qualley, double "vomi" par le corps de la Star vieillissante, est une Sue d'une froideur clinique..
"The Substance" est une œuvre cinématographique qui fera date pour son audace viscérale car elle n'hésite pas à remuer voire choquer le spectateur mais jamais gratuitement.
En tout cas, c'est un film qui ne peut laisser indifférent.
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