Critique de "Megalopolis" de Francis Ford Coppola
- Célia Antonelli
- 25 avr.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 4 mai
☆ Note : 14/20
La dernière Folie du grand Francis Ford Coppola est donc là. Sortie avec une aura sulfureuse suite à sa controversée projection cannoise, le film arrive donc sur les écrans afin que le public puisse se faire son avis...
Alors, qu'en est il de ce film décrit comme le rêve de toute une vie par l'intéressé lui-même ? Délire indigeste ou chef d'oeuvre visionnaire ?
La réponse est beaucoup plus compliquée que cela.
L'histoire : très difficile à résumer.
Dans une ville-monde imaginaire, New Rome, sur le point de s'effondrer, s'opposent deux hommes, deux visions de la société et de son évolution. D'un côté, César Catilina, un visionnaire démiurge nobellisé capable d'arrêter le temps juste en prononçant les mots "Time stop".
Celui-ci a également inventé un métal révolutionnaire, le mégalon qui est capable de façonner son rêve de Ville nouvelle.
Face à lui, le maire de la ville Franklin Cicero. Incarné par Giancarlo Esposito, c'est le représentant de l'ancien monde et il s'oppose avec virulence à César Catilina.
Lui souhaite maintenir le monde d'avant au risque de le voir s'effondrer.
Son rêve ? Construire un nouveau Vegas.
New Rome ressemble étrangement à ce Las Vegas des amoureux de "Coup de cœur", une autre des merveilleuses folies de Coppola qui l'a ruiné à l'aube des années 80.
On y retrouve la démesure de la reconstitution mais, si dans la comédie musicale de 1981, c'était au service d'une histoire d'amour intimiste. Ici nous sommes dans la démesure.
Coppola (re) crée une antiquité dystopique au point de nous y perdre. Les références littéraires affluent parfois même déclamées en latin : Aristote, Marc Aurèle, Cicéron...
Mais, comme on le voit écrit sous le titre du générique, tout ceci n'est qu'une fable. Racontant des évènements qui tendent vers le mythe.
Vision rétro-futuriste d'un empire romain ou plutôt américain qui court à sa perte, le film suit un César Catilina visionnaire démiurge au pouvoir quasi divin d'être en mesure d'arrêter le temps. Mais aussi, un être brisé par la mort mystérieuse de sa femme, dont il ne peut se résoudre à faire le deuil.
Le jeu décalé par moments des acteurs confère au film un coté tragédie grecque. Mais aussi de drame Shakespearien. Hamlet, bien évidemment.
Oui, il y a bien quelque chose de pourri dans le royaume de Megalopolis. Le monde court à sa perte. Seul César Catilina peut le sauver grâce à son métal révolutionnaire.
Car il ne s'agit que de ça finalement... La création et recréation d'une utopie qui amènerait un nouveau monde.
N'est ce pas également une allégorie autour de l'artiste et de son travail ? Coppola se met donc en scène car il y a de la mégalomanie dans le personnage de César Catilina.
Vision naïve ou lucide d'une société américaine dont les acteurs de la politique finissent par devenir les caricatures d'eux même comme Cicero, le maire assoiffé de richesse et César Catilina, le magicien.
Crassus (Jon Voight) également. Une caricature de Donald Trump (N.B: l'acteur est un soutien déclaré du milliardaire dans la vie réelle) qui va se transformer littéralement en Robin des Bois pour repousser ceux qui veulent l'assassiner.
Coppola s'amuserait-il de cette société américaine devenue incompréhensible dans ses choix humains et sociaux ?
Le ridicule de la mort de Auntie Wow Platinum et le personnage totalement déluré du cousin androgyne de Catilina (Shia Leboeuf dans l'excès volontaire) en sont les criants exemples.
Le New Rome imaginé par Coppola est un monde où même les statues prennent vie. Comme celle de cette justice aveugle qui paraît soudain épuisée par le monde nocturne et interlope qui l'entoure et où règne la corruption et le meurtre.
Le Chaos y est organisé et l'organisation chaotique.
Coppola se permet tout avec une confondante envie de nous en mettre plein la vue et il faut reconnaître qu'il y arrive. Non sans parfois une naïveté maladroite.
Visuellement unique, le film est traversé par des moments d'une beauté renversante, rappelant les décors magnifiques et visionnaires du Las Vegas nocturne de son film "Coup de Cœur".
On pense aussi à la société de "Metropolis". Vision pessimiste chez un Fritz Lang jeune. inspiré par la montée du nazisme dans son pays dans les années 20; Coppola lui renvoie vers une Amérique moderne et peu rassurante mais où le vieux réalisateur veut croire en un avenir plus optimiste que celui que voyait le réalisateur allemand visionnaire dans sa dystopie impressionniste d'un monde totalitaire.
C'est aussi une réflexion sur le temps, une thématique récurrente dans l'œuvre de Coppola.
Visuellement, on pense par instants aux horloges de Dalí, allégorie de l'immortalité, et du temps qui passe inexorablement. Les statues deviennent, telles les montres de Dali, des masses qui se liquéfient.
Le "Simon du désert" de Buñuel n'est pas loin non plus : un être isolé dans ce monde qu'il s'est construit et qui doit faire face à la tentation. Mais là encore, comme chez le réalisateur espagnol, avec beaucoup de dérision.
César Catalina, c'est finalement un homme qui veut forger un avenir alors que lui est bloqué dans son passé.
À l'image de Coppola, coincé dans son passé. Un cinéaste qui, au crépuscule de sa vie, se pose encore des questions sur son art.
Renversant d'humilité malgré la mégalomanie.
Coppola livre ici une œuvre certes imparfaite dans sa construction et parfois maladroite dans son discours mais riche dans la réflexion qu'elle engendre.
Réflexion sur une époque mais aussi sur la place de l'artiste et sa légitimité.
On peut ne pas aimer sa réponse mais que ce soit un réalisateur de 85 ans qui se la pose est enthousiasmant.
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