Autopsie d'un meurtre ? - Critique de "Anatomie d'une Chute" de Justine Triet

☆ Note : 16/20

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"Anatomie d'une chute "

Palme d'or 2023, "Anatomie d'une chute" est un très grand film.

Une œuvre puissante qui nous interroge sur la culpabilité, la justice, la manipulation, le couple et les faux semblants, la notion de bien et de mal tout simplement.

Le film débute quasiment de manière documentaire. Une écrivaine d'origine allemande, Sandra, est interviewée par une jeune étudiante admirative. Un jeu de séduction s'installe entre les deux femmes. L'irruption du quotidien vient interrompre l'entretien en la personne du mari que l'on ne voit pas. La musique entêtante souligne son agacement.

On comprend rapidement qu'il s'agit d'un couple en crise rongé par la rancœur et la jalousie. Une jalousie littéraire d'abord car Sandra est une autrice à succès alors que Samuel, lui aussi écrivain, peine à trouver l'inspiration .

Mais une jalousie sentimentale également, Sandra ayant eu une liaison un an auparavant.

Puis le corps du mari, Samuel , qui gît dans la neige, découvert par leur enfant malvoyant, fait plonger le quotidien dans le drame.

Un drame dont l'explication ne nous sera pas donné dans l'immédiat .

Rapidement les soupçons se portent sur la femme. Évidemment.

Même le spectateur a des soupçons...e film devient alors un film de procès où les arguments de l'accusation comme de la défense vont se retrouver entremêlés dans notre esprit confus, dans un jeu du chat et de la souris, orchestré par une réalisatrice inspirée.

Justine Triet va distiller tout au long de son remarquable scénario des indices, des ébauches d'explications pour mieux les démonter dans les plans suivants. Le spectateur/juré penche tantôt d'un côté, tantôt de l'autre de la balance (de la justice)...

La chute évoquée dans le titre n'est pas seulement celle du corps de Samuel, c'est celle de ce couple que l'on devine au bord de l'implosion.

Samuel n'apparaît que dans deux flashbacks mais à chaque fois à des moments clés.

Et le rôle de Daniel, le fils malvoyant (Référence à la justice aveugle ?) va vite se révéler essentiel...

Le morceau "Asturias" d'Isaac Albeniz qui vient "rythmer"les relations entre la mère et son fils montre bien le lien entre les deux.

D'ailleurs, on n'est pas loin du mythe d'Œdipe qui s'aveugle en apprenant la vérité sur sa mère.... Ici, pas la peine... Daniel, après un moment de doute, peut venir au secours de la sienne puisque c'est son père qui a, lors d'un accident, provoqué sa quasi cécité...

Les joutes oratoires lors du procès entre l'avocat de la défense, calme et sûr de lui (Swann Arnaud impeccable) et le procureur dont la véhémence va lui desservir deviennent finalement secondaires... Le drame va se dénouer ailleurs...

Le dernier plan sur Sandra reste donc énigmatique et ambigu. On ne nous aura rien épargné...

D'une justesse confondante dans l'étude des sentiments et dans le jeu de ses acteurs, Justine Triet s'inscrit parfaitement dans cette longue et remarquable tradition du film de procès.

On pense beaucoup à "Autopsie d'un meurtre" de Preminger qui parlait déjà d'illusions de vérité, de jeu de stratégie, d'influences... Ce film s'appelle en anglais "Anatomy of a murder". Tiens, tiens....

On peut presque considérer le film comme complémentaire à "Douze hommes en colère" car il montre bien que la culpabilité ne peut pas être qu'une question de certitudes émotionnelles .

On pourrait parler des références évidentes à "Shining". L'écrivain et l'angoisse de la page blanche, la folie, le chalet perdu dans la montagne. L'enfant qui s'appelle Daniel (Danny en anglais !?) et qui va provoquer le dénouement...

Une chose est sûre... Après le "Fargo" des frères Coen, Justine Triet démontre que , comme le disait Orson Welles (il me semble), la neige est un décor cinématographique qui exerce une grande fascination.